Quel est le regard porté sur le monde par Montaigne ?

Qui est Montaigne ?

Messire Michel Eyquem, seigneur de Montaigne, plus connu de son nom d'auteur Montaigne, (de montagne) est un écrivain et philosophe humaniste du XVIe siècle. Né le 28 février 1533, au château de Montaigne ( aux confins du Périgord et du Bordelais), Montaigne suit une éducation rigoureuse en latin et fait des études de droit, de lettres et de philosophie. Le début de sa carrière se marque par la publication de la traduction de la Théologie Naturelle de Raymond Sebond en 1569, sur demande de son père . Il publie en 1580 à Bordeaux, la première édition des Essais, son premier succès. Cet ouvrage en deux livres d’abord, qu'il offre à Henri III, sera ensuite réédité à Paris en 1587, puis encore en 1588 (en trois livres) et en 1595. Il meurt le 13 septembre 1592 à l’âge de 59 ans. Et encore à titre posthume. Le long de sa vie Montaigne fera preuve d’une facilité sociale: durant 15 ans, il est magistrat, il est élu deux fois maire de Bordeaux où il a ainsi l’occasion de réfléchir sur la société, sur ses lois, sur ses déchirements. C’est également un voyageur, qui tire parti de ses voyages pour apprendre et découvrir.

Montaigne et l'humanisme: les Essais

Les Essais est un genre littéraire dont Montaigne est l'initiateur, «Il est caractérisé par la visée argumentative et présente, de manière très libre et sans souci d’exhaustivité, les réflexions personnelles de l'auteur sur un sujet donné» , selon Petits Classiques. Les Essais de Montaigne reprennent son jugement sur les mœurs de la Renaissance, notamment sous sa pensée d’humaniste.

L’humanisme est un mouvement artistique et littéraire qui s’épanouit autour de la pensée; un être humain est centré sur l’attention et l’entretien des caractéristiques humaines (selon la maison de la Philosophie). C’est une théorie et une croyance qui place donc l’être humain au centre du monde: on observe un retour aux idéologies antiques. L’antiquité est une grande source d’inspiration pour les humanistes. En effet, l’humanisme (du latin « humanitas » qui désigne l’étude des langues anciennes tel que le latin et le grec) au début du XIIIe siècle, désigne ceux qui traduisaient les textes des auteurs antiques. Ce sont ces textes qui ont permis aux premiers humanistes de découvrir la pensé antiques et dont les humanistes, tel que Pétrarque (père de l’humanisme) et Montaigne se sont inspirés. Ayant débuté au XVe siècle en Italie, l’humanisme se propage en Europe grâce aux grandes découvertes, l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, les soutiens de nombreux souverains éclairés (François 1er en France, les Médicis en Italie, le cardinal Cisneros en Espagne) et le début des années des Lumières (qui sera à la fois aidé par l’humanisme et un facteur qui en a permis la propagation) de la Renaissance.  On parle alors notamment de la re découverte’ de l’anthropocentrisme (attitude oú l’homme est au centre de l’univers et qui considère que toute chose se rapporte à lui). C’est une nouvelle perception du monde qui s’impose, ainsi provoquant une rupture avec le théocentrisme des croyances de l’Eglise (disposition d’esprit ou attitude consistant à placer Dieu et ceux de l’autorité religieuse au centre de toute vision du monde et de toute interprétation de l’histoire, le monde est ordonné, hiérarchisé et stable, et tout homme doit chercher à se rapprocher de la perfection divine). L’humanité entreprend une liberté d’esprit plutôt que d’âme, c’est bel et bien une renaissance des idées.

Dans Les Essais Montaigne explore sa connaissance de lui-même et du monde. Il aborde tout d’abord des sujets personnels ou d’actualité pour son époque: on a par exemple «De l’institution des enfants» (livre 1) ou « De l’amitié » (la préposition « De » se traduit aujourd’hui par « au sujet de »), où l’auteur exerce son jugement ou son opinion. Il aborde aussi des sujets plus philosophiques et allusifs, tel que «Que philosopher c’est apprendre à mourir» ou encore «sur des vers de Virgile », où il argumente davantage sa réflexion. Sa pensée dérive de l’inspiration antique, de son expérience personnelle et de sa vie et d’une analyse méticuleuse de soi. Montaigne puise de l’humanisme sa sagesse: selon sa croyance, pour bien mener sa vie, il faut connaître les valeurs morales de la nature humaine, tout en sachant distinguer son propre tempérament d’un autre Homme. Les Essais est une œuvre très personnelle qui expose sans filtre le fil de la pensée de l’auteur selon sa propre vie (enfance, expérience, voyages…ce sont les éléments d’un autoportrait).

La philosophie de Montaigne repose sur une recherche personnelle de vérité, en dehors des apparences. Malgré son statut d’humaniste, il demeure sceptique par rapport à cette conception de l’homme, Montaigne est à la fois penseur de l’humanisme et du scepticisme (doctrine, notamment des anciens philosophes sceptiques grecs selon laquelle l’esprit humain ne peut atteindre aucune vérité générale). Ainsi, dans Les Essais , Montaigne s’oppose fortement au dogmatisme. En réponse à cet appel à la précaution, il met au point trois principes qui illustrent la faiblesse de l’Homme:

Montaigne garde une vision modeste de l’humanité et en fait son témoignage. Il montre l’humanisme comme un équilibre entre connaître des faiblesses pour en retour conserver ses valeurs et en ce son humanité.

Montaigne et le voyage

Montaigne a rédigé plusieurs œuvres au sujet de sa perception des voyages, dans un contexte de guerre de religion et d’expansion de l’Europe vers le nouveau monde. La plus connue est bel et bien Les Essais. Tandis que le livre I, publié en 1580, traite de l’éducation des enfants et le livre II (1590) de l’auteur lui-même, le livre III parle de ses voyages et de ses réflexions politiques. Le chapitre le plus célèbre de ce troisième tome est nommé «Des Cannibales».

Le chapitre est tiré d’une véritable expérience de Montaigne à Rouen, où il a rencontré en 1530 lors d’un voyage officiel des Indiens venus du Brésil. Pour Montaigne, rencontrer des Indiens c’est plus que de la nouveauté. C’est aller à la rencontre d’un autre profondément différent. « Des Cannibales » est une comparaison entre le monde européen et le nouveau monde. Dans la première  partie, Montaigne décrit les rites et les habitudes des indiens. Par exemple, ils rapportent des trophées après une guerre, traitent bien leurs prisonniers avant de les tuer et de les manger. Dans la deuxième partie, Montaigne adopte le point de vue des Indiens. Pour eux, ce que font les Européens est plus raffiné en matière de cruauté. Comme pour les Européens, les Indiens se croient supérieurs aux autres peuples. Ils sont en effet plus proches de la nature, plus courageux et débordants de sagesse. Il décrit ensuite leur polygamie, qui est relativisée et valorisée en quelque sorte. C’est alors que le lecteur commence à se demander qui sont les véritables barbares. La troisième et dernière partie voit l’intervention du jugement et de la pensée de Montaigne. Il transmet sa philosophie appelée relativisme : il pense qu’on ne peut pas juger barbares les coutumes d’un peuple dans la mesure où les nôtres doivent paraître aussi cruelles. Montaigne critique donc la relativité des jugements et l’ethnocentrisme européen, c’est-à-dire la tendance de l’Europe à considérer les valeurs de sa société supérieures à celles des autres civilisations. L’auteur met en évidence le fait que même si les Indiens vont tuer puis manger leurs adversaires, les Européens vont les torturer avant de leur donner la mort en public. Les mœurs des Cannibales et celles des Européens sont comparés à un idéal moral extrait de la culture antique (humanisme) et de la personnalité de Montaigne. C’est ainsi que, pour Montaigne, la capacité des Indiens à « savoir heureusement jouir de leur condition et de s’en contenter » est une vertu essentielle. La valorisation de la nature est également une vertu tirée de l’humanisme que Montaigne n’a pas à justifier. Dans un contexte de guerres de religions, « Des Cannibales » est une manière pour Montaigne de critiquer indirectement le manque de tolérance vis-à-vis des autres croyances.

Une autre œuvre de Montaigne au sujet des voyages est appelée Journal de Voyage. C’est un récit d’un voyage qu’a réalisé Montaigne à cheval en Italie, en passant d’abord par la Suisse et l’Allemagne. Celui-ci s’est déroulé de septembre 1580 à novembre 1581. Ce manuscrit a été retrouvé par l’abbé Prunis en 1770 lors d’une visite au château Montaigne deux siècles après sa mort. La première partie de ce livre, presque la moitié, a été écrite par un secrétaire, tandis que les deux autres ont été écrites par Montaigne, l’une en italien approximatif et l’autre en français moderne. Pour certains historiens, Journal de Voyage est une sorte de brouillon avant d’écrire Les Essais. Montaigne y transmet son avidité de découverte des coutumes étrangères, des gens rencontrés. Il s’intéresse notamment aux vins et découvre la douche. Dans ce livre, Montaigne moque ceux qui ne voyagent que pour cocher des cases, qui partent à l’étranger pour se remplir les yeux d’étrangeté et pour finalement ne rencontrer personne d’autre qu’eux-mêmes. Montaigne a dit que «le voyage à l’étranger est une invitation à devenir soi-même un étranger pour les autres». Dans Journal de Voyage, Montaigne devient un étranger pour les Italiens. La découverte selon Montaigne c’est partir à la découverte de ce qu’on ne connaît pas encore. Dans Journal de Voyage, Montaigne reste ouvert à l’inconnu, contrairement aux touristes qui suivent des parcours tracés.

En conclusion, le relativisme de Montaigne est mis en avant dans «Des Cannibales», dans lequel l’auteur compare les mœurs des Indiens à celles des Européens, tout en se référant à la culture antique et aux vertus soutenues par l’humanisme. Montaigne transmet également sa passion pour le voyage dans Journal de Voyage où il dit comme dans Les Essais qu’il faut voyager «pour frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui» et ainsi avoir plutôt «une tête bien faite que bien pleine». Pour lui, la capacité de jugement est stimulée à la fois par la lecture d’œuvres savantes, que l’on peut considérer comme un voyage intellectuel, et par le voyage. Comme dans le reste des Essais, Montaigne ne se prétend pas connaisseur de la vérité, mais au contraire il invite au voyage pour la découverte de soi et de l’autre: il propose une remise en mots et à la fois une globalisation et une individualisation de l’humanité.



Sources

blog.ac-versailles.fr
interlettre.com
wordpress.com
actu.fr
radiofrance.fr
bacfrançais.com
Petits classiques «Essais» Larousse <
Le Magazine Littéraire «Éloge du voyage»
Lettres lycée NRP numéro 93

Rédigé par Marc Balaÿ et Louise Timlin